24‏/10‏/2009

Un monde fou ?


La vieille route qui va de Jérusalem à Hébron (maintenant d’Hébron au mur près de Bethléem) était envahie par peut-être plus de 200 forces spéciales armées. Pas israéliennes, mais la « sécurité » palestinienne. J’allais chercher un ami au camp de réfugiés de Dheisheh pour aller manger du Knafah (un gâteau palestinien). Tous les 10 mètres, sur une longueur de plus d’un kilomètre, il y avait ces hommes de la sécurité. De jeunes gens, entre 18 et 24 ans. L’ « Autorité Palestinienne » dépense la plus grosse partie de son budget non pas en soins de santé ou pour l’éducation, ou autres besoins, mais pour la sécurité.On nous a dit que le Président Abbas venait dans le secteur (soit aux quartiers généraux d’Al-Muqata’a, soit au « Palais présidentiel » dans la région d’Artas, très près d’une colonie israélienne). Pour faire place au long cortège officiel, les voitures garées avaient été enlevées des rues. La police a mis du temps à laisser reprendre le trafic et les voitures à se garer à nouveau. Se garer devant la pâtisserie n’a pas été facile, et je pense que je n’y suis arrivé qu’après que le propriétaire ait donné du Knafah gratuit aux policiers en poste. Personne ne sait pourquoi les rues ont été fermées, ni pour quelle occasion de tels dignitaires sont venus dans notre petite ville de Bethléem (ou plutôt le Ghetto 12).Après le Knafah, nous avons visité le village assiégé de Tqu’, juste à deux kilomètres au sud-ouest de Bethléem, et nous avons vu le désespoir de ces villages, qui ne reçoivent jamais de visites présidentielles. Tqu’, comme des dizaines d’autres villages, est assiégé par les colonies exclusivement pour Juifs, qui ont pris la plus grande partie de ses meilleures terres et des ressources en eau. Les colonies de Tekoa, El David et Nodekim (où habite Avigdor Lieberman) sont construites sur les terres du village. Les ressources en eau ont été confisquées et le village doit acheter son eau à la compagnie israélienne qui, depuis quelques 40 ans, pille les puits du village.Près de l’entrée et d’un des puits, ma voiture a été arrêtée à un checkpoint israélien volant et un gosse (peut-être Russe) en sueur et hors de son élément, portant des habits épais et un fusil plus lourd que lui, m’a demandé de sortir de la voiture, d’ouvrir le coffre, etc. Nous avons rendu visite à un père de 10 enfants, qui vit bien en-dessous du seuil de pauvreté, mais d’une dignité et d’une générosité légendaires de la part des villageois si simples et décents. Le chômage est rampant et certains villageois sont obligés de travailler dans les colonies, simplement pour survivre. Mais cette famille dit qu’ils préfèrent crever de faim. Les colonies ont tout ce dont elles ont besoin en eau, infrastructures, et soutien du gouvernement israélien (et de nouveaux immeubles, nonobstant la rhétorique vide d’Obama). Ce train de vie somptueux rappelant la Californie du sud, à quelques centaines de mètres d’une incroyable pauvreté créée par l’homme, est emblématique des pires formes d’apartheid et de cruauté humaine vis-à-vis des frères humains.Sur des terres volées, et utilisant de l’eau volée, ils ont même un parc aquatique pour Juifs qui surplombe le désert (on voit la Mer Morte et la Jordanie) attirant des colons des deux côtés du mur d’apartheid. Ah oui, au fait, les trois colonies sont du soi-disant côté palestinien du mur !! J’en avais assez vu pour la journée et sur la route du retour à Beit Sahour, je me suis consolé en allant sur le site des ruines d’un château que le tyrannique roi Hérode a fait construire près de Tqu’ il y a 2000 ans. Lui et son régime brutal ont disparu depuis longtemps, alors que les indigènes (la peau foncée et beaux, on retrouve les descendants cananéens dans les gens de Tqu’) sont toujours là. J’aimerais que les dirigeants palestiniens auto-déclarés aillent à Tqu’ et dans les autres villages assiégés.Le système fou d’apartheid qui s’est déchaîné ici au cours des 127 dernières années est en train de produire quelques aberrations réellement inquiétantes au-delà de la triste histoire de Tqu’ et des villages comme lui. L’intensité de ces aberrations a augmenté récemment, manifestations finales des idéologies racistes de “peuple élu” (et nous contre eux) qui se manifestent dans le sionisme. C’est tous les jours que ces inquiétantes aberrations surviennent : des juifs ultra-orthodoxes caillassant des voitures à Jérusalem samedi (blessant 4 personnes) lors d’une émeute qui ne sera pas réprimée par des ordres de démolition de maisons ou des détentions administratives (et encore moins avec les balles caoutchouc-acier ou réelles) auxquels sont confrontés les Palestiniens régulièrement. L’incident sera peu couvert par les médias occidentaux (qui s’autocensurent à cause des sympathies sionistes). Des ultra-sionistes créent une nouvelle colonie en dépit d’Obama et l’appellent, tenez-vous bien, « Obama » !! Le ministère israélien des transports va changer les panneaux indicateurs pour afficher plus de noms « juifs » (hébreux), même quand ils sont écrits en arabe. Ainsi Nazareth (en anglais) et An-Nasreh (en arabe) seront effacés au profit de la version hébraïque Notsrim. Pareil pour Al-Quds/Jerusalem, qui s’appellera donc Yerushalaym (ironie, cette dernière appellation est un vol/distorsion du nom araméen-cananéen de la ville Ur-Salem, la maison de Salem, le Dieu cananéen de la Paix). Le ministère israélien des affaires étrangères recrute des légions de commentateurs pour parcourir les blogs et les commentaires, et faire passer Israël pour le bon, et les Palestiniens pour les méchants.Israël, qui a kidnappé des Internationaux dans une action de piraterie d’Etat dans les eaux internationales (alors qu’ils faisaient route pour Gaza), a donné la permission à l’Egypte de laisser entrer le même groupe à Gaza (mais pour une journée). Les civils de Gaza continuent de mourir à cause du siège, qui est un crime de guerre et un crime contre l’humanité, pourtant peu de gens influents protestent. Il est aussi absurde que la « direction » palestinienne n’ait pas le courage de se dresser au-dessus des mesquineries (entre les gens au Fatah et entre le Hamas et le Fatah, sans parler de l’auto-marginalisation des autres groupes), ou de se dresser au-dessus des pièges d’une « autorité » imaginée pour se tenir aux côtés de notre propre peuple (c’était quand, la dernière fois qu’un « dirigeant » a été arrêté alors qu’il bloquait un bulldozer ou protégeait une famille de l’expulsion ?).Pendant ce temps, les procureurs israéliens ont tranquillement abandonné les poursuites contre un colon qui a tiré à bout portant sur deux Palestiniens parce que la défense a menacé de demander aux services israéliens de sécurité d’exposer ce qu’ils considèrent comme des informations nuisibles à la sécurité d’Etat (je parie que l’information, c’est que le prévenu, comme les autres colons racistes, et les services de la sécurité d’Etat font équipe). Un autre tribunal a libéré un colon qui a tiré sur un Palestinien (sur la terre palestinienne) prétendant que le Palestinien non armé « semblait le menacer ». L’ « Autorité » palestinienne (dont les autres autorités sont très limitées) a interdit la chaîne de télévision Al-Jazeera, puis l’a dés-interdite (du moins répondent-ils à quelques pressions). Les responsables Hamas et Fatah continuent de détenir des centaines de prisonniers du camp opposé (mais un seul soldat de l’occupation israélienne, dans les mains du Hamas). Entre temps, les autorités israéliennes d’occupation continuent de « moissonner » des Palestiniens « recherchés », poussant les choses à l’extrême en participant à des manifestations, aidant à couper les grilles de l’apartheid et incitant les manifestants à faire usage de la violence, puis arrêtant ceux qui sont tombés dans le piège (comme cela s’est produit à Ni’lin la semaine dernière). Et le criminel de guerre et ex-premier ministre déshonoré du régime d’apartheid (Olmert) a le culot (Chutzpah) d’écrire et de publier un article dans le Washington Post intitulé (ce n’est pas une plaisanterie) : « Comment parvenir à une paix durable : arrêtez de faire une fixation sur les colonies » !Peut-être que tout cela cadre avec la situation mal nommée appelée « le syndrome Jérusalem ». Peut-être que comme la grippe A (mais bien plus mortelle), c’est devenu une pandémie qui se répand dans le monde entier. Obama, comme Condy Rice avant lui, l’a attrapée et s’est mis à gémir et à murmurer des bêtises (Condi : « Nous disons qu’Israël doit se retirer des villes, et nous parlons sérieusement ! ». Obama : « Nous disons qu’Israël doit geler l’activité de colonies, et nous parlons sérieusement ! »). Nous parlons sérieusement en donnant à Israël des milliards sur nos impôts, c’est clair… Le Premier ministre du Canada soutient honteusement une entité raciste appelée « Fonds National Juif » (imaginez un « fonds national blanc » qui prend des terres pour en expulser toutes les personnes de couleur). Etc. etc.Les quelques personnes saines (ou du moins plus saines que la moyenne, ici, au pays de l’apartheid) se sont rassemblées pour essayer de contrer le système (voyez par exemple : « Israel soldiers speak out on Gaza » ou la vidéo « Israel’s Lonesome Doves », mais ce n’est pas facile quand vous nagez à contre-courant et que vous êtes encerclés par des requins qui nagent dans l’autre direction, vous bloquant et vous mordant à la moindre occasion.Heureusement, quelques personnes saines existent, et d’autres se réveillent tous les jours. J’en rencontre tous les jours. Je viens de donner une conférence à un groupe de 40 jeunes gens brillants et curieux venus du monde entier, et leur compréhension de la situation est stupéfiante.« Notre stratégie ne devrait pas être seulement de confronter l’empire, mais de l’assiéger. Le priver d’oxygène. Lui faire honte. Le ridiculiser. Avec nos peintures, notre musique, notre littérature, notre entêtement, notre joie, notre ingéniosité, notre intransigeance – et notre capacité à raconter nos propres histoires. Des histoires différentes de celles avec lesquelles on essaie de nous laver le cerveau. L’empire s’effondrera si nous refusons d’acheter ce qu’il vend – ses idées, sa version de l’histoire, ses guerres, ses armes, sa notion d’inévitabilité. Rappelez-vous ceci : Nous sommes nombreux et ils sont peu. Ils ont besoin de nous plus que nous avons besoin d’eux. »« Un autre monde est non seulement possible, il est en route. Les jours calmes, je peux l’entendre respirer. » Ces deux citations sont de Arundhati Roy.

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