13‏/05‏/2009

Gaza : le dernier chapitre de la Nakba en cours




En décembre 2008, Israël a décidé de marquer le 60ème anniversaire de son existence de la même manière qu’il s’était créé : en détruisant les vies et les moyens d’existence du peuple palestinien. Pendant 23 jours, l’une des armées les plus puissantes au monde a bombardé et pilonné depuis l’air, la terre et la mer, les 1,5 million d’habitants palestiniens de la minuscule Bande de Gaza surpeuplée et occupée, que le Rapporteur des Nations Unis pour les droits de l’homme, le professeur Richard Falk, a comparée au Ghetto de Varsovie.(1) Israël a ainsi provoqué le déplacement forcé de dizaines de milliers de Palestiniens, la mort de plus de 1.300 d’entre eux et a blessé plus de 5.000, dont la grande majorité était des civils. 13 israéliens, dont 10 soldats, ont été tués dans ce dernier round d’hostilités. Au moment où ce dossier d'al-Majdal part à l’impression, les Palestiniens de la Bande de Gaza s’efforcent de déterrer ce qui reste de leurs familles, de reconstruire ce qui reste de leurs maisons bâties après toute une vie de travail et de retrouver sous les gravats des objets personnels qui constituent les souvenirs des générations.
Une mission d’enquête officielle des Nations Unies doit encore être envoyée à Gaza pour « enquêter sur toutes les violations du droit international sur les droits de l’homme et le droit humanitaire international par la puissance occupante Israël contre le peuple palestinien dans tout le territoire palestinien occupé, en particulier dans la Bande de Gaza occupée, à cause de l’agression actuelle [...] » (2)
Pendant ce temps, les porte-paroles israéliens ont confirmé que « l’usage massif de la force » était nécessaire à Gaza pour empêcher des victimes parmi ses forces armées. Des témoins oculaires, des ONG et des agences internationales ont confirmé qu’Israël avait eu recours à une force excessive, dont l’utilisation illégale d’armes de façon aveugle et gratuite contre la population civile de Gaza. (3) En termes simples et clairs, cela veut dire qu’Israël a perpétré des massacres.
Ce n’est pas la première fois : des massacres contre les civils palestiniens ont été commis par les forces sionistes, Israël et les Israéliens par le passé, depuis Deir Yassin, Ayn Ghazzal, Tantura, Khisas et Dawaymeh en 1948, en passant par Qibya (1953), Kafr Qasem (1956) et Sabra et Shatila (1982), jusqu’à Ayun Qara, la Mosquée Ibrahimi, Qana, Jenin, Rafah et Khan Younis entre 1990 et 2007.
Dans tous les cas, Israël a invoqué le droit à l’autodéfense et le besoin d’assurer la sécurité et la protection de sa population juive, parce que les efforts pour créer, maintenir et agrandir un Etat exclusivement juif rencontraient le refus et la résistance de la population autochtone du pays. Les massacres, bien que peut-être le moyen le plus cruel, n’ont pas été les seuls. Israël a utilisé d’autres moyens pour empêcher l’autodétermination palestinienne et saper la résistance à la colonisation juive : les violations totales et systématiques des droits et libertés fondamentales (dont les restrictions arbitraires de circulation, dont le droit au retour), la torture et les traitements inhumains (dont le vol des terres et autres biens, la ségrégation, le refus et/ou la restriction d’accès aux services essentiels et aux sources de revenus, la destruction des maisons et autres infrastructures privées et publiques, l’arrestation et la détention arbitraires, et les assassinats extrajudiciaires), ainsi que la déplacement forcé systématique et arbitraire de la population palestinienne dans et hors de sa patrie. Le résultat est ce que les Palestiniens appellent « la Nakba en cours ».
Dans ce dossier d’al-Majdal, (ici, format PDF, 101 pages, en anglais), nous mettons l’accent sur un des aspects centraux de la Nakba en cours : le déplacement forcé systématique, continu et arbitraire des Palestiniens par Israël. Les articles sur cette question décrivent la politique et les pratiques utilisées par Israël pour déplacer de force les Palestiniens de chez eux à l’intérieur d’Israël et dans le Territoire Palestinien Occupé en 1967, et les différentes façons dont les Palestiniens luttent pour résister au déplacement.
Il comporte également une évaluation préliminaire de la réponse internationale au déplacement forcé en cours des Palestiniens dans le Territoire Palestinien Occupé. Alors que chaque article décrit la façon dont la Nakba en cours touche une communauté particulière, les récits combinés offrent une image claire du coût que fait supporter au peuple palestinien l’entreprise coloniale raciste d’Israël.
Le déplacement forcé des Palestiniens en cours est le résultat d’une stratégie israélienne qui conjugue une politique et des pratiques de transfert (expulsion, déportation) hors de leur patrie du plus grand nombre possible de Palestiniens indigènes, avec une concentration et un confinement du plus grand nombre possible de ceux qui restent dans les zones de terre les plus petites possibles (décrites comme des « réserves et des ghettos » dans la Convention de l’Apartheid (4)); le contrôle israélien effectif de tout mouvement d’entrée ou de sortie des réserves et des ghettos ; et la confiscation de la terre palestinienne et le transfert de la population palestinienne depuis les zones situées en dehors de ces réserves et ghettos par une combinaison de mesures militaires et administratives, comme les démolitions de maisons, le harcèlement physique, la privation d’eau et d’électricité, le zonage discriminatoire et la planification du développement, qui rendent la vie en dehors de ces zones difficile et insupportable pour les individus et les communautés palestiniens.
A l’intérieur d’Israël, dans le Naqab (Negev), Israël a reconnu et développé sept communautés pour les Palestiniens, qui sont officiellement désignées “villes de concentration”. Les 45 communautés bédouines palestiniennes restantes sont considérées illégales, et leurs habitants sont poussés à déménager vers une des villes de concentration de façon de plus en plus violente. Les villes palestiniennes en Galilée et dans le Triangle (le centre-est d’Israël) sont complètement encerclées par des communautés juives et des parcs et forêts nationaux qui empêchent leur expansion géographique, alors que les Palestiniens des villes historiques (comme Jaffa, Lod, Acre et Ramle) sont expulsés et poussés à déménager dans une des communautés palestiniennes déjà surpeuplées.
Dans le Territoire Palestinien Occupé, une photo aérienne ou une ballade en voiture autour de n’importe quelle ville palestinienne en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem Est, révèle immédiatement que la communauté concernée est encerclée par une combinaison d’infrastructures israéliennes illégales, dont le mur, les colonies juives, les checkpoints et autres infrastructures militaires et coloniales qui sont interdites aux Palestiniens. Une discussion rapide avec les Palestiniens dans n’importe quelle communauté en dehors (à l’ouest) du mur révèle rapidement qu’ils subissent de fortes pressions israéliennes pour partir vers la zone emmurée la plus proche. Dans les Territoires également, le coût de l’administration et du maintien de l’ordre dans les zones palestiniennes fermées a été externalisé à l’Autorité Palestinienne, « partenaire » palestinien dont la loyauté est garantie par sa dépendance complète de la communauté internationale et d'Israël et, si besoin, par la force militaire israélienne.
L’histoire du traitement israélien des 1,5 million de Palestiniens dans la minuscule Bande de Gaza de 360 km² est l’histoire – résumée – du traitement par Israël du peuple palestinien et de la Nakba en cours en Palestine. Les Palestiniens tués, blessés et déplacés dans l’attaque militaire brutale d’Israël en décembre 2008 sont les mêmes Palestiniens – et leurs descendants – qu’Israël a expulsés de leurs maisons et poussés par la force à trouver refuge à Gaza en 1948 (deux Palestiniens sur trois à Gaza sont réfugiés), dont il a volé la terre, qu’il a opprimés depuis 1967 par une occupation militaire brutale, dont il a sévèrement restreint la liberté de circulation depuis le début des années 1990 (la Bande de Gaza est appelée « prison à ciel ouvert » depuis cette époque) et qu’il a essayé de soumettre par la famine au moyen d’un blocus criminel de la nourriture, du fuel et de l’électricité dans les 18 mois qui ont précédé l’attaque militaire.
Sous le prétexte de l’autodéfense, l’Etat d’Israël a invoqué – et les gouvernements occidentaux ont approuvé – le « droit » de tuer de façon aveugle et gratuite, de blesser et de déplacer ces réfugiés et civils palestiniens sous occupation, dont les droits humains fondamentaux, dont les droits au retour et à l’autodétermination qu’Israël et la communauté internationale n’ont ni respecté, ni protégé ni promu pendant les 60 dernières années.
Comme dans le cas de la guerre d’Israël contre le Liban en 2006, les gouvernements occidentaux menés par les Etats Unis et l’Union Européenne ont fermé les yeux et soutenu l’agression d’Israël contre le peuple palestinien dans la Bande de Gaza, et ont aidé à retarder l’adoption d’une résolution du Conseil de Sécurité appelant à un cessez-le-feu immédiat. Les mêmes Etats continuent de bloquer d’autres actions des Nations Unies, dont des sanctions effectives et des enquêtes et poursuites sur les crimes d’Israël et ses violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme.
De beaucoup de façons, le cas du peuple palestinien, représenté par les victimes de l’attaque d’Israël à Gaza, est devenu une affaire test. Aujourd’hui, alors qu’il a été mis fin, aux Etats-Unis, au gouvernement qui a prôné la « guerre préventive » et la « guerre contre le terrorisme » et établi Guantanamo et Abu Ghraib, de nouveaux espoirs de changement et d’un autre monde, plus juste et pacifique inspirent des millions de personnes. Pour beaucoup de peuples au monde, cependant, un tel espoir reste illusoire, tant que la légitimité de leur lutte pour la justice, la liberté et une égalité totale ne sera pas reconnue, tant que le puissant ne sera pas tenu pour responsable selon les normes universelles, et que soit mis fin à l’impunité des violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme et des crimes de guerres.
Le cas du peuple palestinien est un cas-test à ce sujet parce que le régime raciste et oppressif d’Israël, qui conjugue des éléments d’apartheid, de colonialisme et d’occupation militaire, est soutenu et protégé par les Etats occidentaux les plus puissants.
Notes de lecture :
[1] Richard Falk, envoyé des Nations Unies pour les droits de l’homme : “Gaza évoque le souvenir du Ghetto de Varsovie.”
[2] Conseil des Droits de l’Homme, Résolution A/HRC/S-9/L.1/Rev.2 de 12 janvier 2009, para 14.
[3] Lire par exemple :
Amnesty International, “Israel must disclose weapons it used in Gaza attacks”
Murray Wadrop, “Israel accused of executing parents in front of children in Gaza”, The Telegraph, 21 January 2009
Rory McCarthy, “Amid dust and death, a family's story speaks for the terror of war”, The Guardian, 19 January 2009
Amnesty International, “Israel's use of white phosphorus against Gaza civilians 'clear and undeniable'”, 19 January 2009
Al-Haq, “Impeding Medical Relief in the Gaza Strip: Israel's War Crimes against the Injured”, 17 January 2009
UN Committee on Rights of the Child, “Effects of Gaza conflict on children 'devastating'”, 13 Jan 2009
Eva Bartlett, “Israel is targeting medics”, Electronic Intifada, 12 January 2009
[4] L’Article II de la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid (Résolution 3068 (XXVIII) de l’Assemblée Générale des Nations Unies, 1973) établit que le crime d’apartheid « désigne les actes inhumains indiqués ci-après, commis en vue d'instituer ou d'entretenir la domination d'un groupe racial d'êtres humains sur n'importe quel autre groupe racial d'êtres humains et d'opprimer systématiquement celui-ci (…) »
"d) Prendre des mesures, y compris des mesures législatives, visant à diviser la population selon des critères raciaux en créant des réserves et des ghettos séparés pour les membres d'un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux, en interdisant les mariages entre personnes appartenant à des groupes raciaux différents, et en expropriant les biens-fonds appartenant à un groupe racial ou à plusieurs groupes raciaux ou à des membres de ces groupes (…)."

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